lundi 16 août 2010

De la novlangue contemporaine : « le politiquement correct » et la « bien-pensance »

Un phénomène curieux se produit, de nos jours, au cœur des conceptions idéologiques des hommes et des femmes de droite (conservateurs ou libéraux) : il faut absolument (et assez curieusement) à l’encontre de l’idéologie victimaire qu’ils sont censés exécrés, se poser en « martyrs » de la « bien-pensance » ou de ce qu’ils désignent encore sous l’expression « politiquement correct ». C’est dire qu’aujourd’hui, ces simples incantations agrémentées de sarcasmes suffisent, plus encore qu’une série d’arguments, à former et à emporter l’adhésion, (pour peu que vous soyez disposés à accepter les prémisses et les implications des postulats de la droite).

Soyons plus spécifique et suivons le sociologue Jean-Pierre Garnier, qui explicite cette doxa de manière fort savoureuse : Le principe en est simple : s’affirmer résolument à contre-courant des « idées reçues », des « modes », du « politiquement correct », généralement identifiés aux « visions erronées » qui ont cours sur la scène médiatique ou politicienne, avant d’asséner avec gravité d’autres poncifs tout aussi conformes à l’idéologie dominante dont ils ne constituent qu’une variante savante.[1] » Une proposition qu’un éditorialiste comme Eric Zemmour pourrait probablement méditer avec sagesse

Il semble évident qu’aujourd’hui, les discours sur la délinquance ou la pauvreté sont assez friands de ce genre de procédés. Il serait futile (voire imbécile !) de rechercher des causes sociologiques, économiques à des phénomènes sociaux comme la déviance ou la précarité, car ce serait là pure manœuvre idéologique destinée à « excuser » ou à « déresponsabiliser ». Ainsi, comme le disait Herber Spencer à l’encontre des pauvres : « la sympathie pour une personne qui souffre supprime, pour le moment, le souvenir des fautes qu’elle a commises[2] ».

L’économiste Frédéric Lordon, critiquant au passage la conversion de la gauche d’alternance à ces conceptions (anéantissant au passage l’idée d’une pensée unique « gauchiste »), explique la paresse intellectuelle au cœur de ce type de discours : « Cédant à toutes les forces de l’air du temps et rejoignant la droite dans cette aberration mentale qui se refuse à considérer que comprendre et juger demeurent des opérations intellectuelles absolument hétérogènes, que rendre intelligible n’est synonyme d’absoudre que pour des esprits obtus, la social-démocratie à la française a donc pris le mors aux dents et décidé que l’insécurité était un fait social à combattre et non à comprendre. Regardés comme des manifestations aberrantes mais autosuffisantes, surtout pas symptômes d’autre chose, les actes de violence anomique sont de purs surgissements sans cause, rejetés dans la catégorie d’un mal absolument ineffable – ce n’est plus d’une police qu’ils sont justiciables mais d’un corps d’exorcistes[3]. »

N’est-il pas vrai qu’aujourd’hui, face à ces phénomènes sérieux, nous sommes sommés de prendre une posture viriliste, moralisante et psychologisante, et qu’à défaut, l’invective ou le mépris tendront rapidement à se manifester au cœur du débat public ? Symétriquement, dirons certains, la tendance à réduire les diverses conceptions droitières à de purs et simples avatars du « fascisme » ont permis de construire ce type de « réactions ». S’il est probable que ces excès ont pu nourrir ces nouveau discours, je souhaiterais pointer la dangerosité qui réside au cœur de la critique de la « bien-pensance » et du « politiquement correct ». En effet, n’est-elle pas en train d’aboutir à une forme de « terrorisme intellectuel » avec ses propres effets de censure (probablement le produit d’une forme d’usure de la critique de gauche et l’affaiblissement de son impact sur le monde ?) et ses injonctions idéologiques ?
Ensuite, et en lien avec ce qui précède, ne peut-on pas noter finalement une analogie formelle entre ce qu’on appelle aujourd’hui la critique du « politiquement correct » et la critique de l’« idéologie dominante » ? Historiquement, nous savons que la critique de l’idéologie dominante est plutôt un concept utilisé au sein de la gauche radicale (marxiste, anarchiste, etc.) indiquant que les idées dominantes sont, en dernière instance, celles qui légitiment le mode de production capitaliste[4].

La question pourrait donc être la suivante : comment est-on passé d’une critique « de gauche » de l’idéologie dominante, à la réappropriation droitière de ce concept sous une nouvelle étiquette aux contours flous : « le politiquement correct » ?
Est-ce à dire que la réalité elle-même à changé, que la domination capitaliste a disparu et que nous vivons au pays des soviets ? Est-ce lié, comme indiqué plus haut, à l’affaiblissement de la critique de cette domination et à l’absence de perspective ouverte par celle-là ? Ou est-ce lié à une stratégie intellectuelle sur le mode gramscien d’hégémonie culturelle de la part de la droite ?

Si l’on peut raisonnablement écarter la première possibilité et tenir pour évidente la seconde tant ce phénomène est documenté[5], qu’en est-il de la troisième question ?

De ce point de vue, Serge Halimi et Alain Bihr ont bien analysé les conditions d’émergence de ce discours et les formes qu’il empruntait. C’est pourquoi nous pouvons avancer avec ce dernier, et à titre d’hypothèse, que le discours sur la « bien-pensance » et le « politiquement correct » constitue une des manifestations de la novlangue contemporaine, c’est-à-dire schématiquement : « la mise en circulation, par de multiples biais, parmi lesquels comptent évidemment au premier chef les médias, d’un langage spécifique : des mots, des expressions, des tournures de phrase, etc., progressivement passés dans le langage courant. Ce langage est destiné, selon le cas, à faire accepter le monde tel que les intérêts de la classe dominante le façonnent en gros comme dans le détail ; ou à désarmer ceux qui auraient tout intérêt à lutter contre ce monde pour en faire advenir un autre, en le rendant incompréhensible, en répandant un épais brouillant sur les rapports sociaux qui le structurent et qui en déterminent le cours ; ou tout simplement encore en rendant inutilisable tout autre langage, d’emblée critique à l’égard du monde existant. [6] »

N’est-il pas évident, pour reprendre l’exemple évoqué ci-avant, que le discours moralisateur, répressif et psychologisant en matière de délinquance, sous couvert de lutte contre la « bien-pensance », voile objectivement le racisme (anti-pauvres), les mutations de l’Etat social en Etat pénal (ou libéral-policier selon les termes de Lordon) et social-actif, la ségrégation socio-spatiale, ou encore la domination capitaliste, etc. ? C’est ainsi que Loïc Wacquant dans : « Punishing the Poor « démontre que l’État néolibéral (…) lors même qu’il embrasse le « laissez faire et laissez passer » en haut, en relâchant les contraintes qui pèsent sur le capital et en élargissant les chances de vie dont jouissent les détenteurs de capitaux économiques et culturelles, il n’est rien moins que « laissez faire » au bas de l’échelle sociale. De fait, lorsqu’il s’agit de gérer les turbulences sociales générées par la dérégulation et d’imposer la discipline du travail précaire, le nouveau Léviathan se révèle être farouchement interventionniste, dominateur et dispendieux. La touche légère des inclinaisons libertaires qui s’adressent aux classes supérieures fait place à un activisme brutal et autoritaire visant à diriger, voire à dicter, les comportements des membres des classes inférieures. Le « small government » dans le registre économique trouve son prolongement et son complément dans le « big government »sur le double front du workfare et de la justice criminelle.[7] »

par William7


[2] SPENCER Herbert, L’individu contre l’Etat, 1885.
[4]Pour de plus amples développements sur la question, lire l’ouvrage d’Isabelle Garo, L’Idéologie, la pensée embarquée, La Fabrique, Paris, février 2009.
[5] Par exemple, on peut lire avec intérêt le monumental ouvrage de Luc Boltanski et Eve Chiappello : « Le nouvel esprit du capitalisme ». Paris, Gallimard, 1999.

mardi 10 août 2010


La bonne ambiance
envoyé par robin1423. - L'actualité du moment en vidéo.

Nous assistons depuis quelques années à une hausse de la xénophobie en France, tant au niveau du peuple qu'au niveau de nos dirigeants politiques. Et cela va de l'extrême droite (Jean-Marie et Marine Le Pen) à des hommes qui se proclament pourtant de gauche (Manuel Valls, Bernard-Henri Levy) en passant bien sur par le pouvoir en place (Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, Frédérique Lefèbvre...). En outre, sous l'impulsion de leaders d'opinion comme monsieur Eric Zemmour, ceux qui le plus souvent à gauche ne tombent pas dans cet écueil sont immédiatement taxés de "bobos gauchistes bienpensants".

Il y a 2 raisons à ce phénomène :

-La raison électorale
La technique est plus qu'érodée, il s'agit de désigner un bouc émissaire, d'effrayer la population et de se désigner en héros qui va l'en débarrasser. C'est le fond de commerce du Front National depuis plusieurs dizaines d'années, et c'est également celui de l'UMP depuis que Nicolas Sarkozy fut ministre de l'intérieur, comme on le voit dans cette vidéo ("Vous en avez marre de ces racailles ? Et bien on va vous en débarrasser.")

-La raison de la diversion
Technique non moins inconnue, il s'agit de détourner les braves gens des problèmes qui touchent réellement leur quotidien et l'avenir de leurs enfants (chômage, santé, éducation, retraites, Europe, couvertures sociales, délocalisations...). Ainsi le peuple se divise autour d'un problème fantasmé : les plus gros scores du FN sont d'ailleurs réalisés dans des villages de province dont les étrangers sont absents. Et finalement, la conscience de classe devient la conscience de race, ou plutôt "d'origine ethnique" pour reprendre le vocable actuel.