mercredi 20 octobre 2010

Un parti de gauche

Voici une petite fiction inspirée par la lecture du livre "Le printemps des Sayanim" de Jacob Cohen. Toute ressemblance avec des personnages réels serait fortuite.

Il était une fois, au grand orient de France, une loge qui commença ainsi :
Le grand maitre dit : "Mes frères, une place est vacante sur l'échiquier politique, les gens n'ont plus confiance en ce qu'ils appellent l'UMPS. De plus, l'extrême droite leur fait peur, et nous avons bien oeuvré pour cela, et l'extrême gauche est mal représentée. En effet, Olivier de Besançon fait peur aux uns par son coté révolutionnaire et fait sourire les autres par son internationalisme et son "droit de l'hommisme". Ainsi, il manque quelqu'un pour représenter une extrême gauche à la fois ferme et progressiste. Et bien sûr, il serait préférable que ce quelqu'un soit un gars de chez nous."
Puis, se tournant vers Jean-Luc Roblochon, le grand maitre poursuivit : "Jean-Luc, vous avez souvent défendu ici votre ferveur pour plus de justice et d'égalité sociales. Vous avez également été, à plusieurs reprises, en désaccord avec le parti socialiste auquel vous appartenez. Pourquoi ne quitteriez vous pas le PS pour former votre propre parti, un parti vraiment conforme à vos convictions ?"
Jean-Luc espérait depuis longtemps une telle proposition, alors il répondit : "J'y ai bien songé figurez vous, mais la création d'un parti demande des investissement importants et surtout un appui médiatique que j'aurais le plus grand mal à obtenir car mes idées défient largement le pouvoir en place."
Le grand maitre, satisfait de cette réponse, dit alors : "Et bien Jean-Luc, vous pourrez compter sur l'aide de vos frères. Trouver les fonds nécessaires ne posera aucun problème, quant à l'appui médiatique, vous n'êtes pas sans savoir que cette loge compte parmi ses membres les personnages les plus influents du paysage audio-visuel français. Ces frères feront en sorte que votre voix soit entendue du plus grand nombre."
Le grand maitre jeta un oeil sur David Pujadiste qui d'un hochement de tête aquiesça. Puis il poursuivit :
"Et que pensez vous de l'Union Européenne Jean-luc ?
-Comme vous le savez, j'ai appelé à voter contre la constitution lors du référendum de 2005, et j'ai été entendu. Mais pourtant, son fac-similé, le traité de Lisbonne, est tout de même passé en force. Je pense que cette Europe est antidémocratique et construite autour d'un modèle libéral qui va à l'encontre de mes convictions.
-Entendu, mais comme vous venez de le dire, il s'agit de CETTE Europe. Peut être pourriez vous proposer une autre Europe. Car il va de soi que la sortie de l'Union Européenne isolerait notre économie et entrainerait notre pays à la ruine, ne pensez vous pas ?
-En effet, je suis pour une autre Europe."
Puis la tenue se poursuivit doucement jusqu'à son terme, voila un problème qui était réglé.

jeudi 14 octobre 2010

Un texte de Julien Arlandis :

Le syndrome du larbin

I) Définition

Chez un individu, le syndrome du larbin est un comportement pathologique visant à prendre systématiquement la défense des classes les plus favorisées au détriment de celles dont il est issu. Ce syndrome diminue les capacités d’analyse du larbin et se traduit par un blocage psychologique l’incitant à agir préférentiellement contre ses propres intérêts au profit de ceux qui l’exploitent.


II) Analyse des symptômes

L’amour démesuré qu’affiche le larbin à l’égard des patrons, des rentiers ou des milliardaires, est l’acte de foi qui structure son discours. Le larbin agit sans discernement de ce qui pourrait être bon pour lui, il intellectualise le débat pour tenter de nous convaincre que piocher chez les riches est toujours la pire des solutions, quand bien même il en serait bénéficiaire. Les arguments économiques qu’il invoque inlassablement n’ont pas servi à forger sa conviction, le syndrome du larbin est malheureusement une vocation qui se trimbale dès le plus jeune âge et contre laquelle il n’existe aucun remède. Le larbin n’a pas choisi d’aimer les riches, il aime les riches parce qu’il est un larbin. De tendance nettement libérale le larbin est celui qui vous vante les bienfaits du bouclier fiscal alors même qu’il ne paye pas d’impôts. C’est encore le même larbin qui voudrait réduire ou supprimer l’impôt sur la fortune même s’il sait qu’il ne sera jamais concerné par la question. Un écervelé victime du syndrome du larbin n’a pas de conscience politique, il vote instinctivement dans l’intérêt de ceux qui l’exploitent pour s’attirer leur bienveillance. Le larbin estime que l’argent qui lui fait défaut, est beaucoup plus utile dans le coffre d’un riche qui pourra ainsi le réinvestir beaucoup plus utilement qu’il ne l’aurait lui même dépensé. Le larbin cautionne tous les sacrifices et les plans d’austérité dont il pourrait être l’objet comme la baisse des salaires, ou encore l’augmentation de l’âge de la retraite même si son travail ne lui convient d’aucune façon et que ses maîtres ne lui offrent aucune perspective d’améliorer sa condition.


III) Hypothèses sur l’origine du syndrome

Deux théories principales s’affrontent pour expliquer l’origine du syndrome : la thèse génétique et la pathologie mentale.
Après des siècles d’esclavage et de féodalité, les larbins pourraient être le produit d’une sélection artificielle des soumis par leurs maitres. La transmission génétique des caractères aurait favorisée la sélection d’une souche vivace de larbins domestiques au profit d’une nouvelle espèce de primates : l’homo larbinus.
Selon cette hypothèse le mécanisme en œuvre serait similaire à la sélection des chiens et des chevaux mais directement appliqué à l’homme.
Pour les tenants de la pathologie mentale le caractère héréditaire n’est pas retenu, il s’agirait plutôt d’un trouble qui se développerait dès l’enfance. Le processus s’aggraverait au passage à l’âge adulte lorsque le sujet prend conscience de la médiocrité de sa condition, le larbin développerait des stratégies inconscientes visant à restaurer un équilibre cognitif pour justifier l’acceptation de sa subordination. Le larbin finit ainsi par s’identifier à ses maîtres en s’imaginant appartenir au corps social qui l’exploite.


IV) Quelques exemples

Le larbin réagit vivement à toute discussion qui ose remettre en cause les privilèges des plus fortunés, incapable de se livrer à une argumentation convaincante, ses messages distillent la peur et les intimidations dont il est l’objet. En réaction le larbin brandit instinctivement une succession de termes caractéristiques qu’il essaye de glisser dans son discours tels que : communisme, bolchévisme, tirage vers le bas, la Stasi, Corée du Nord, isolement, dictature socialiste, évasion fiscale, paupérisation, millions de morts...
Les quelques messages qui suivent portent la quasi-signature "littéraire" d’un larbin digne de ce nom :

- Les riches il faut les bichonner, les câliner, si on les spolie trop ils s’installeront ailleurs.

- Le Bolchévisme ? Non merci les Russes ont essayé en 17...

- Comme en Corée du Nord ou au Zimbabwe ?

- La fortune de Bill Gates ? Ça fait 3 pizzas par Africain et après on fait quoi ?

- Si les riches disparaissent on pourra plus leur vendre des produits de luxe !

- Ma patronne paye trop de charges !

- Les parachutes dorés c’est une compensation pour dissuader de saboter davantage l’entreprise, divisé par le nombre de salariés ça fait beaucoup moins que dans une seule poche.


V) Population affectée

Le syndrome du larbin ne prolifère pas seulement chez les plus démunis intellectuellement comme on pourrait le penser, il affecte une large fourchette de la population sans corrélation apparente avec le niveau d’étude (20% de la population pense faire parti des 1% les plus riches). Les larbins sévissent en masse sur les forums d’économie dont l’étude de cette discipline semble en aggraver les symptômes. Le paysage politique avec l’élection d’un président au service des ploutocrates révèle un seuil de contamination critique dans la patrie des droits de l’homme. La situation est grave mais peut-être pas complètement désespérée et les symptômes ne cessent d’évoluer au fil de l’actualité, aussi aidez-nous à maintenir et à diffuser ce document pour lutter efficacement contre ce fléau des temps modernes.


Pour la santé publique.

lundi 16 août 2010

De la novlangue contemporaine : « le politiquement correct » et la « bien-pensance »

Un phénomène curieux se produit, de nos jours, au cœur des conceptions idéologiques des hommes et des femmes de droite (conservateurs ou libéraux) : il faut absolument (et assez curieusement) à l’encontre de l’idéologie victimaire qu’ils sont censés exécrés, se poser en « martyrs » de la « bien-pensance » ou de ce qu’ils désignent encore sous l’expression « politiquement correct ». C’est dire qu’aujourd’hui, ces simples incantations agrémentées de sarcasmes suffisent, plus encore qu’une série d’arguments, à former et à emporter l’adhésion, (pour peu que vous soyez disposés à accepter les prémisses et les implications des postulats de la droite).

Soyons plus spécifique et suivons le sociologue Jean-Pierre Garnier, qui explicite cette doxa de manière fort savoureuse : Le principe en est simple : s’affirmer résolument à contre-courant des « idées reçues », des « modes », du « politiquement correct », généralement identifiés aux « visions erronées » qui ont cours sur la scène médiatique ou politicienne, avant d’asséner avec gravité d’autres poncifs tout aussi conformes à l’idéologie dominante dont ils ne constituent qu’une variante savante.[1] » Une proposition qu’un éditorialiste comme Eric Zemmour pourrait probablement méditer avec sagesse

Il semble évident qu’aujourd’hui, les discours sur la délinquance ou la pauvreté sont assez friands de ce genre de procédés. Il serait futile (voire imbécile !) de rechercher des causes sociologiques, économiques à des phénomènes sociaux comme la déviance ou la précarité, car ce serait là pure manœuvre idéologique destinée à « excuser » ou à « déresponsabiliser ». Ainsi, comme le disait Herber Spencer à l’encontre des pauvres : « la sympathie pour une personne qui souffre supprime, pour le moment, le souvenir des fautes qu’elle a commises[2] ».

L’économiste Frédéric Lordon, critiquant au passage la conversion de la gauche d’alternance à ces conceptions (anéantissant au passage l’idée d’une pensée unique « gauchiste »), explique la paresse intellectuelle au cœur de ce type de discours : « Cédant à toutes les forces de l’air du temps et rejoignant la droite dans cette aberration mentale qui se refuse à considérer que comprendre et juger demeurent des opérations intellectuelles absolument hétérogènes, que rendre intelligible n’est synonyme d’absoudre que pour des esprits obtus, la social-démocratie à la française a donc pris le mors aux dents et décidé que l’insécurité était un fait social à combattre et non à comprendre. Regardés comme des manifestations aberrantes mais autosuffisantes, surtout pas symptômes d’autre chose, les actes de violence anomique sont de purs surgissements sans cause, rejetés dans la catégorie d’un mal absolument ineffable – ce n’est plus d’une police qu’ils sont justiciables mais d’un corps d’exorcistes[3]. »

N’est-il pas vrai qu’aujourd’hui, face à ces phénomènes sérieux, nous sommes sommés de prendre une posture viriliste, moralisante et psychologisante, et qu’à défaut, l’invective ou le mépris tendront rapidement à se manifester au cœur du débat public ? Symétriquement, dirons certains, la tendance à réduire les diverses conceptions droitières à de purs et simples avatars du « fascisme » ont permis de construire ce type de « réactions ». S’il est probable que ces excès ont pu nourrir ces nouveau discours, je souhaiterais pointer la dangerosité qui réside au cœur de la critique de la « bien-pensance » et du « politiquement correct ». En effet, n’est-elle pas en train d’aboutir à une forme de « terrorisme intellectuel » avec ses propres effets de censure (probablement le produit d’une forme d’usure de la critique de gauche et l’affaiblissement de son impact sur le monde ?) et ses injonctions idéologiques ?
Ensuite, et en lien avec ce qui précède, ne peut-on pas noter finalement une analogie formelle entre ce qu’on appelle aujourd’hui la critique du « politiquement correct » et la critique de l’« idéologie dominante » ? Historiquement, nous savons que la critique de l’idéologie dominante est plutôt un concept utilisé au sein de la gauche radicale (marxiste, anarchiste, etc.) indiquant que les idées dominantes sont, en dernière instance, celles qui légitiment le mode de production capitaliste[4].

La question pourrait donc être la suivante : comment est-on passé d’une critique « de gauche » de l’idéologie dominante, à la réappropriation droitière de ce concept sous une nouvelle étiquette aux contours flous : « le politiquement correct » ?
Est-ce à dire que la réalité elle-même à changé, que la domination capitaliste a disparu et que nous vivons au pays des soviets ? Est-ce lié, comme indiqué plus haut, à l’affaiblissement de la critique de cette domination et à l’absence de perspective ouverte par celle-là ? Ou est-ce lié à une stratégie intellectuelle sur le mode gramscien d’hégémonie culturelle de la part de la droite ?

Si l’on peut raisonnablement écarter la première possibilité et tenir pour évidente la seconde tant ce phénomène est documenté[5], qu’en est-il de la troisième question ?

De ce point de vue, Serge Halimi et Alain Bihr ont bien analysé les conditions d’émergence de ce discours et les formes qu’il empruntait. C’est pourquoi nous pouvons avancer avec ce dernier, et à titre d’hypothèse, que le discours sur la « bien-pensance » et le « politiquement correct » constitue une des manifestations de la novlangue contemporaine, c’est-à-dire schématiquement : « la mise en circulation, par de multiples biais, parmi lesquels comptent évidemment au premier chef les médias, d’un langage spécifique : des mots, des expressions, des tournures de phrase, etc., progressivement passés dans le langage courant. Ce langage est destiné, selon le cas, à faire accepter le monde tel que les intérêts de la classe dominante le façonnent en gros comme dans le détail ; ou à désarmer ceux qui auraient tout intérêt à lutter contre ce monde pour en faire advenir un autre, en le rendant incompréhensible, en répandant un épais brouillant sur les rapports sociaux qui le structurent et qui en déterminent le cours ; ou tout simplement encore en rendant inutilisable tout autre langage, d’emblée critique à l’égard du monde existant. [6] »

N’est-il pas évident, pour reprendre l’exemple évoqué ci-avant, que le discours moralisateur, répressif et psychologisant en matière de délinquance, sous couvert de lutte contre la « bien-pensance », voile objectivement le racisme (anti-pauvres), les mutations de l’Etat social en Etat pénal (ou libéral-policier selon les termes de Lordon) et social-actif, la ségrégation socio-spatiale, ou encore la domination capitaliste, etc. ? C’est ainsi que Loïc Wacquant dans : « Punishing the Poor « démontre que l’État néolibéral (…) lors même qu’il embrasse le « laissez faire et laissez passer » en haut, en relâchant les contraintes qui pèsent sur le capital et en élargissant les chances de vie dont jouissent les détenteurs de capitaux économiques et culturelles, il n’est rien moins que « laissez faire » au bas de l’échelle sociale. De fait, lorsqu’il s’agit de gérer les turbulences sociales générées par la dérégulation et d’imposer la discipline du travail précaire, le nouveau Léviathan se révèle être farouchement interventionniste, dominateur et dispendieux. La touche légère des inclinaisons libertaires qui s’adressent aux classes supérieures fait place à un activisme brutal et autoritaire visant à diriger, voire à dicter, les comportements des membres des classes inférieures. Le « small government » dans le registre économique trouve son prolongement et son complément dans le « big government »sur le double front du workfare et de la justice criminelle.[7] »

par William7


[2] SPENCER Herbert, L’individu contre l’Etat, 1885.
[4]Pour de plus amples développements sur la question, lire l’ouvrage d’Isabelle Garo, L’Idéologie, la pensée embarquée, La Fabrique, Paris, février 2009.
[5] Par exemple, on peut lire avec intérêt le monumental ouvrage de Luc Boltanski et Eve Chiappello : « Le nouvel esprit du capitalisme ». Paris, Gallimard, 1999.

mardi 10 août 2010


La bonne ambiance
envoyé par robin1423. - L'actualité du moment en vidéo.

Nous assistons depuis quelques années à une hausse de la xénophobie en France, tant au niveau du peuple qu'au niveau de nos dirigeants politiques. Et cela va de l'extrême droite (Jean-Marie et Marine Le Pen) à des hommes qui se proclament pourtant de gauche (Manuel Valls, Bernard-Henri Levy) en passant bien sur par le pouvoir en place (Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, Frédérique Lefèbvre...). En outre, sous l'impulsion de leaders d'opinion comme monsieur Eric Zemmour, ceux qui le plus souvent à gauche ne tombent pas dans cet écueil sont immédiatement taxés de "bobos gauchistes bienpensants".

Il y a 2 raisons à ce phénomène :

-La raison électorale
La technique est plus qu'érodée, il s'agit de désigner un bouc émissaire, d'effrayer la population et de se désigner en héros qui va l'en débarrasser. C'est le fond de commerce du Front National depuis plusieurs dizaines d'années, et c'est également celui de l'UMP depuis que Nicolas Sarkozy fut ministre de l'intérieur, comme on le voit dans cette vidéo ("Vous en avez marre de ces racailles ? Et bien on va vous en débarrasser.")

-La raison de la diversion
Technique non moins inconnue, il s'agit de détourner les braves gens des problèmes qui touchent réellement leur quotidien et l'avenir de leurs enfants (chômage, santé, éducation, retraites, Europe, couvertures sociales, délocalisations...). Ainsi le peuple se divise autour d'un problème fantasmé : les plus gros scores du FN sont d'ailleurs réalisés dans des villages de province dont les étrangers sont absents. Et finalement, la conscience de classe devient la conscience de race, ou plutôt "d'origine ethnique" pour reprendre le vocable actuel.

jeudi 11 mars 2010

La menace d'un bon exemple


Aucun pays n’est à l’abri d’une intervention des Etats-Unis, même le plus insignifiant. En fait, ce sont souvent les pays les plus faibles, les plus pauvres, qui provoquent la plus grande hystérie.

Prenez le cas du Laos dans les années 60, peut-être le pays le plus pauvre du monde. La plupart de ceux qui y vivaient ne savaient même pas qu’ils vivaient dans un pays appelé le Laos ; tout ce qu’ils savaient était qu’ils vivaient dans un village qui était situé non loin d’un autre petit village, etc. Mais dès qu’une révolution sociale très limitée a commencé à se développer là-bas, Washington a soumis le Laos à un « bombardement secret » meurtrier, détruisant de larges portions de zones habitées et qui, de leur propre aveu, n’avait rien à voir avec la guerre que les Etats-Unis menaient contre le Vietnam du Sud.

La population de la Grenade est de 100.000 et vous auriez du mal à touver cette île sur une carte. Mais lorsque la Grenade a connu une révolution sociale modérée, Washington est rapidement entré en action pour détruire la menace.

Depuis la Révolution bolchevique de 1917 jusqu’à la chute des gouvernements communistes en Europe de l’Est à la fin des années 80, chaque agression US était justifiée comme une défense contre la menace soviétique. Ainsi lorsque les Etats-Unis ont envahi la Grenade en 1983, le chef d’Etat Major a expliqué que, dans l’éventualité d’une attaque soviétique contre l’Europe occidentale, un régime hostile à la Grenade pouvait couper les approvisionnements de pétrole des Caraïbes à l’Europe de l’Ouest et que les Etats-Unis seraient dans l’impossibilité de porter secours à leurs malheureux alliés.

Cela peut paraître comique, mais de telles histoires peuvent mobiliser un soutien de l’opinion publique contre l’agression, le terrorisme et la subversion.

L’agression contre le Nicaragua était justifiée par le fait que si nous ne « les » arrêtions pas là-bas, « ils » traverseraient notre frontière à Harlington, Texas – à peine deux heures de route. (pour les publics plus éduqués, il y avait des arguments plus sophistiqués, mais tout aussi plausibles).

En ce qui concerne l’économie américaine, le Nicaragua pourrait disparaître et personne ne s’en rendrait compte. Même chose pour le Salvador. Pourtant ces deux pays ont été soumis à des attaques meurtrières de la part des Etats-Unis qui ont coûté des centaines de milliers de vies et des milliards de dollars de dégâts.

Il y a une raison à cela. Plus le pays est faible, plus son exemple est dangereux. Si un pays minuscule comme la Grenade pouvait améliorer les conditions de vie de sa population, d’autres pays, avec plus de ressources, pourraient se demander « pourquoi pas nous ? »

Ceci est vrai aussi pour l’Indochine, qui est relativement grande et possède quelques ressources. Eisenhower et ses conseillers s’étendaient sans cesse sur le riz, l’étain et le caoutchouc, mais leur véritable crainte était que le peuple indochinois retrouve l’indépendance et la justice et que celui de la Thaïlande les imite et, en cas de réussite, que la Malaisie suive leur exemple pour rapidement aboutir à l’indépendance totale de toute l’Indonésie et la perte pour les Etats-Unis d’une partie importante de la « Grande Zone ».

Lorsqu’on veut instaurer un système global qui soit soumis aux besoins des investisseurs américains, il faut s’assurer que tous les morceaux restent en place. Il est étonnant de constater à quel point cette idée est ouvertement formulée dans les documents officiels.

Prenons l’exemple du Chili sous Allende. Le Chili est un pays relativement grand, avec beaucoup de ressources naturelles, mais, là non plus, les Etats-Unis n’allaient pas s’effondrer si le Chili devenait indépendant. Pourquoi étions-nous si préoccupés par ce pays ? Selon Kissinger, le Chili était un « virus » qui pouvait « infecter » la région et dont les effets allaient se ressentir jusqu’en Italie.

Malgré 40 ans de subversion par la CIA, l’Italie avait encore un mouvement ouvrier. L’avènement d’un gouvernement social-démocrate au Chili aurait pu inspirer les électeurs italiens. Imaginez qu’ils se prennent à avoir des idées bizarres comme celle de reprendre le contrôle de leur propre pays et de refonder les mouvements détruits par la CIA dans les années 40 ?

Les stratèges américains, depuis le secrétaire d’Etat Dean Acheson à la fin des années 40 jusqu’à nos jours, ont toujours averti qu’ « une pomme pourrie gâte le baril » [traduction littérale du proverbe – NDT]. Le danger était la pourriture – le développement social et économique – qui pouvait se transmettre.

Cette « théorie de la pomme pourrie » est présentée en public sous le nom de la théorie des dominos. Elle est destinée à faire peur à l’opinion publique et lui expliquer comment Ho Chi Minh pourrait monter dans canoë et pagayer jusqu’en Californie, ce genre de choses. Il se peut que quelques responsables américains croient à ces bêtises, c’est possible, mais pas les stratèges. Ces derniers comprennent parfaitement que la véritable menace est celle d’un « bon exemple ». Et il leur arrive parfois de l’énoncer clairement.

Lorsque les Etats-Unis planifiaient le renversement de la démocratie guatémaltèque en 1954, le Département d’Etat a déclaré officiellement que « le Guatemala représente un danger croissant pour la stabilité du Honduras et du Salvador. Sa réforme agraire est un puissant outil de propagande : son vaste programme social d’aide aux travailleurs et paysans dans une lutte victorieuse contre les classes aisées et les grandes entreprises étrangères exerce un fort attrait auprès des populations voisines en Amérique centrale, où les conditions sont similaires ».

En d’autres termes, les Etats-Unis veulent la « stabilité », c’est-à-dire la sécurité pour « les classes aisées et les grandes entreprises étrangères ». Si cet objectif peut être atteint par des mécanismes démocratiques, tout va bien. Sinon, la « menace contre la stabilité » que représente un bon exemple doit être détruite avant que le virus ne se répande. C’est pourquoi même le plus petit des pays peut représenter une menace et doit être écrasé.


Noam Chomsky